Avec Olivier Babeau, Eric Ciotti, Jézabel Couppey-Soubeyran, Aurore Lalucq, Pierre Moscovici, Pierre Moscovici et animé par Marie Visot.
Verbatim
Olivier Babeau : "La France et sa dette, c'est jusqu'ici tout va bien, comme dit le gars qui tombe de l'immeuble."
"Dans le monde réel, on assiste à une explosion de ce que nous coûte la dette. Bientôt de le service de la dette sera le premier poste de dépenses de l'Etat."
"La dette est soutenable, si nous avons la croissance !"
"On ne peut plus augmenter la dette, nous nous sommes endettés plus que nos voisins."
Pierre Moscovici : "Le service de la dette est aujourd'hui de 41 milliards et sera de 61 milliards en 2027."
"Avec un tel niveau de dette, alors qu'on a des investissements massifs à financer, l'endettement, c'est l'impuissance publique."
"Il y a un paradoxe en France, on dépense beaucoup et les citoyens ne sont pas satisfaits. Il faut des politiques publiques de meilleure qualité."
Jézabel Couppey-Soubeyran : "On a d'un côté des recettes fiscales limitées et des dépenses publiques contraintes par la règle des 3 % et une dette limitée par la dette des 60 %... Nos marges de manœuvre sont difficiles. C'est un triangle infernal."
"Réduire les dépenses serait de la folie pure. S'endetter plus, cela accroîtrait notre rapport de dépendance vis-à-vis de nos créanciers et cela nous obligerait à croître toujours plus, donc à prélever toujours plus de ressources sur la planète... il faut donc transformer ce triangle infernal en losange vertueux, en y ajoutant un pôle de financement monétaire alternatif."
"Il faut élargir la focale et parler aussi d'endettement privé, qui représente 145 % du PIB et de la soutenabilité de cet endettement privé."
"Dans un monde sans dette, comment les ménages feraient-ils pour acquérir un logement, comment les entreprises feraient pour se développer ? C'est impossible. Il faut donc réfléchir à la notion de dette utile et responsable."
"Les banques françaises sont extrêmement solides pour soutenir l'endettement privé."
"Avoir une dette utile c'est avoir une dette qui corresponde aux besoins."
"Aujourd'hui, on veut orienter ,les financements vers les grandes transformations. La dette n'est pas un gros mot quand elle est utile et responsable."
Aurore Lalucq : "La dette est un moyen qui doit répondre à des objectifs précis."
"Le contexte géopolitique compte. Nous sommes en guerre et Il nous faut aujourd'hui une capacité de financement plus importante. Il va falloir utiliser la dépense publique avec des aides beaucoup plus flêchées."
"Il nous faut aussi une politique industrielle très forte."
Eric Ciotti : "Nous sommes dans une urgence absolue en matière macroéconomique, tous nos paramètres se dégradent. Nous entrons dans une zone de très grand danger. Nous dépensons trop d'argent public et nous dépensons un argent public mal affecté."
"Les prélèvements pèsent sur les entreprises et sur le pouvoir d'achat des ménages. Nous n'avons pas plus de dépenses publiques que les autres pays européens, mais la différence est sur le financement du modèle social, qui favorise l'oisiveté et qui pèse sur les entreprises."
"Plus on dépense, moins les missions pour lesquelles l'Etat est fait sont assumées. Il faut sans doute indemniser moins et moins longtemps. En même temps que nous devons baisser les dépenses publiques, il faut baisser les prélèvements obligatoires, il faut aller vers un libéralisme économique."
Pierre moscovici : "Le niveau des prélèvements obligatoires atteint 45 %, on ne peut pas continuer à les augmenter."
"Quand on a des déficits à 4,9 % et une croissance à 1 %, il y a deux leviers : la baisse des dépenses et les prélèvements obligatoires. Si on baisse certains impôts, il faut en augmenter d'autres, afin de stabiliser les recettes."
"Ce qui est préoccupant aujourd'hui, c'est la pente de notre dette, cela va donner des élongations !"
Jézabel Couppey-Soubeyran : "La question du financement de la transition écologique est toujours là."
"Avec la dette, on finance des dépenses, qui ont un retour sur investissement et qui permettent de rembourser la dette."
Nicolas Namias : "Le système bancaire français veut être là pour financer les grandes transitions : environnementales, sociales et technologiques, car ce sont des vecteurs pour la croissance de demain."
Aurore Lalucq : "Il va falloir changer la structuration de la fiscalité."
"Le monde d'avant est fini, il va falloir arrêter de tirer sur la corde."
Eric Ciotti : "Aujourd'hui, la priorité, c'est de diminuer les impôts, notamment les impôts de production."
"Il faut aussi revoir le système de l'impôt sur le revenu. Je suis aussi contre l'impôts sur les successions, qui empêche la circulation du capital."
Olivier Babeau : "On ne se lamentera jamais assez sur le fait que nous arrivons au début de l'épreuve, exsangues."
"Il va falloir se réinventer pour inscrire la France dans le XXIème siècle et pour assurer la soutenabilité de la dette."
Pour aller plus loin
Il y a quelques années, contrairement à l’adage bien connu « qui paie ses dettes s’enrichit » et aussi fou que cela puisse paraître, certains pays s’enrichissaient en s’endettant. Mais le retour de l’inflation a signé le glas de l’univers des taux négatifs. L’endettement public a progressé très fortement dans le sillage des réponses budgétaires apportées à la crise sanitaire, mais le coût du financement de la dette aussi. A tel point que l’on peut aujourd’hui se poser des questions sur la soutenabilité de la dette de certains pays européens, parmi lesquels l’Italie mais aussi la France.
3000 milliards d’euros
Après avoir atteint 2 950 milliards d’euros fin 2022, la dette publique française, indique l’Insee, dépasse pour la première fois le chiffre symbolique de 3000 milliards d’euros au premier trimestre 2023, s’établissant à 112,5 % du PIB. En un seul trimestre, l’endettement public du pays, qui s’est massivement accru depuis la crise sanitaire, s’est encore alourdi de 63,4 milliards d’euros. S’il y a quelques mois encore, cela ne coûtait pas grand-chose de s’endetter, il n’en va plus de même avec l’augmentation constante des taux d’intérêts. La dette devient donc une véritable épée de Damoclès pour la France. S’il y a dix ans la France faisait partie des bons élèves de l’Europe en ce qui concerne la dette, il n’en est plus ainsi hélas. Désormais notre taux d’endettement par rapport au PIB est supérieur de dix points à la moyenne européenne. Aujourd’hui, seuls les Etats-Unis, le Japon et la Chine sont plus endettés que nous avec des dettes publiques respectives de 29000 milliards d’euros, 11000 milliards d’euros et 9000 milliards d’euros. Mais la situation est d’autant plus préoccupante pour la France, que contrairement au Japon qui se prête à lui-même dans sa propre monnaie, nous n’avons pas la maitrise de notre dette, car celle-ci est détenue à près de 50 % par des non-résidents (fonds de pension, banques, compagnies d’assurance).
Selon Pierre Moscovici, président de la Cour des Comptes, « nos finances publiques sont parmi les plus dégradées d’Europe et cela nous affaiblit ». Si on continue sur cette trajectoire, la Cour des Comptes prédit, « qu’en 2026, la France serait le seul grand état européen à ne pas afficher un déficit sur PIB inférieur à 3 % ». La charge de la dette devrait être de 70 milliards d’euros à l’horizon 2027. Une situation qui pourrait avoir de graves conséquences économiques et sociales, alors même qu’il va falloir trouver de l’argent pour financer la transition écologique. Selon le rapport France Stratégie commandé par Elisabeth Borne à Jean Pisani-Ferry, « pour atteindre nos objectifs pour 2030 de réduction de 55 % des émissions par rapport à 1990 et viser la neutralité en 2050, il va nous falloir prévoir un investissement supplémentaire de 66 milliards d’euros par an ».
Réduire les dépenses
Face à cette crise financière qui couve, Bercy a décidé d’accélérer la réduction des dépenses et de tourner définitivement la page du « quoi qu’il en coûte ». Alors qu’il était encore ministre délégué chargé des Comptes publics, Gabriel Attal prévenait le 12 juillet dernier dans les pages du Figaro « qu’un effort global sera demandé aux Français en 2024, car le désendettement est une urgence nationale ». « Notre objectif, a-t-il ajouté, est de stabiliser la dette publique en 2026, et de commencer à la rembourser en 2027 ».
Comment le gouvernement entend-t-il réduire les dépenses ? Le futur projet de loi de finances nous en dira certainement plus à l’automne prochain, quoi qu’il en soit, il est clair que la France a besoin d’envoyer des signaux pour ne pas voir sa note dégradée par les agences de notations. En juin dernier, l’agence Fitch a déjà fait passer la note qui évalue la solidité de notre dette de AA à AA-. Certes, Standard & Poors a ensuite confirmé la solidité de la France en maintenant sa note, mais il ne faudrait pas que cela s’aggrave.
Les économies prévues suffiront-elles à inverser la courbe ? Et in fine, qui va payer ?
Qui va payer ?
Pour de nombreux économistes, « il est pratiquement impossible de rembourser une dette publique aussi élevée que celle de la France dans un contexte de faible croissance ».
Un constat qui rejoint les conclusions du rapport Arthuis pour qui : « une stratégie de désendettement rapide qui fixerait un horizon pour la baisse de la dette d’ici 2025 est largement inatteignable. L’horizon de 2030 est plus réaliste, tout en étant exigeant sur le ralentissement de l’évolution des dépenses. Plus qu’un reflux rapide de notre endettement, le véritable enjeu, pour assurer la soutenabilité de notre dette et notre crédibilité vis-à-vis de ceux qui la financent, est plutôt de démontrer notre capacité à contenir dans le temps le rythme des dépenses en deçà des recettes et de garantir l’efficience de chaque dépense publique ».
Aujourd’hui, comme cadeau de naissance, chaque petit Français reçoit quelque 42 000 euros à rembourser, qui augmenteront tout au long de sa vie. Alors si on ne veut pas faire peser de plus en plus lourdement ce fardeau sur les épaules des générations futures, il faudra bien que la France rembourse sa dette un jour ou l’autre.
A moins que d’autres solutions ne soient mises en œuvre ? Parmi les pistes envisagées il y a bien sûr la méthode classique du roulement de la dette, qui consiste à rembourser les emprunts arrivés à échéance grâce à de nouveaux emprunts. Mais en période de hausse des taux d’intérêt cette méthode montre toutes ses limites, car il devient difficile de convaincre les marchés de la soutenabilité à long terme de la dette publique. Autre solution mise en avant par certains économistes, la mutualisation des dettes publiques à l’échelon européen via la création d’un emprunt européen. Enfin, solution ultime, l’annulation ou la restructuration de la dette du moins pour la partie détenue par le système européen des banques centrales (SEBC). Mais est-ce juridiquement et politiquement possible, voire souhaitable ?
Alors à quand le remboursement ? Le spectre d’un défaut de paiement plane-t-il au-dessus de notre pays ou la France est-elle « too big to fail » ?
« Too big to fail » ?
Le dernier défaut de paiement de la France a eu lieu peu après la révolution de 1789, avec la Banqueroute des Deux-Tiers en 1797. 2/3 des dettes perpétuelles ont alors été remboursées en assignats sans aucune valeur. Un risque analogue pèse-t-il aujourd’hui sur notre pays et faut-il redouter un scénario à la Grecque ? La faillite de la France entraînerait sans nul doute des réactions en chaîne sur les économies d’autres pays d’Europe et sur les marchés financiers mondiaux, compte tenu de son importance au sein de l’Union. Cela fait penser à la majorité des observateurs que la BCE ne nous laissera jamais tomber. C’est sans doute vrai, mais le retour de l’inflation a conduit la BCE à limiter ses interventions et à mettre fin au Whatever it takes établi par Mario Draghi. La stabilisation de notre dette publique s’avère donc plus nécessaire que jamais, afin que nos créanciers ne puissent douter de notre capacité à emprunter. Pour Pierre Moscovici, c’est clair : « la France ne doit pas être un leader européen de la dette », même si, comme le souligne l’ancien économiste en chef du FMI Olivier Blanchard, « la dette publique ne doit pas être une obsession ». Quelle dette va-t-on finalement laisser pour les générations futures ?